Je souhaite préfacer ceci par le simple et affligeant constat qu’il existe aux États-Unis une crise de la santé mentale sans précédent. Un nombre incroyable de gens qui auraient besoin d’assistance psychologique ou psychiatrique sont tout simplement livrés à eux-mêmes. Ceci étant, il existe aussi les zinzins du coin, les mêmes qu’en Belgique, et apparemment, ils adorent interpeller les usagers du métro.
Hier, Jon, Manon et moi sommes assis dans le métro, en train de discuter en toute innocence— et aussi en français. En face de nous, une femme d’une quarantaine d’années essaie d’attirer notre attention depuis une bonne minute, et elle finit par nous demander « Are you tourists? ». Je vous transcris le reste de la conversation, traduite pour votre confort.
La femme : Vous êtes des touristes ?
Manon et moi, en chœur : Heu, non.
La femme : Vous êtes Américains ?
Moi : Non.
La femme : Mais vous parlez espagnol ?
Moi : Non, français.
La femme : Vous êtes français ?
Jon : Belges.
La femme : Et vous parlez français pour que les gens ne vous comprennent pas, c’est ça ? Comme ça vous pouvez les critiquer et ils ne le savent pas ?
Moi : Non, parce que c’est notre langue.
La femme : Ah ? Pourquoi ?
Moi : Pourquoi quoi ?
La femme : Pourquoi vous parlez français ?
Moi : Quand vous rencontrez un Américain à l’étranger, vous lui parlez américain, non ?
La femme, en se grattant l’oreille comme un labrador : Et c’est bien, l’économie, en Belgique ?
Jon, Manon, et moi : [silence]
La femme, toujours en se grattant l’oreille : Non, parce qu’ici, avec l’épidémie, l’économie s’est écroulée. New York, c’est mort. Et ça va continuer à aller mal. La moitié des magasins a fermé, et en plus, il n’y a plus de travail pour personne.
Jon : [silence]
Manon : [regarde ses chaussures]
Moi : Ah ?
La femme : Oui, mais de toute façon, c’est fait exprès. Je n’étais pas fan de Trump, mais je déteste Biden. Les élites ont fait exprès, pour la pandémie. Et maintenant, ils font exprès de pourrir l’économie, comme ça on est tous pauvres et c’est mieux pour eux. Les Républicains et les Démocrates, c’est tous les mêmes. La preuve, ils font partie des mêmes sociétés secrètes et…
Les trois touristes (j’ai envie de dire, de l’Iowa) assis en face de nous commencent à montrer des signes d’hilarité. Moi-même, je sens mes zygomatiques se contracter, et je ne vais plus pouvoir garder mon sérieux pendant bien longtemps. Manon fixe la femme, n’essayant même plus de dissimuler sa fascination. Jon est en train de regarder les autres lignes de métro sur Moveit.
La femme : … Et en plus, si c’était pas le cas, on n’en serait pas là. D’ailleurs, New York, c’est mort. Et ça va continuer à aller mal et les magasins, c’est plus comme avant. Non, attends, j’ai déjà dit ça. De toute façon, c’est de la faute des Démocrates et…
C’est à ce moment là que le métro ralentit à une station, qu’on dit « au revoir », et qu’on descend du wagon comme si c’était notre arrêt, avant de courir pour remonter dans le wagon suivant.
Textes et images ©Carnets new-yorkais.
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