Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’apporter une remarque préliminaire à ce qui suit : New York contient tout ce qui existe en matière de mode, de l’ultra-chic japonais au bobo façon Porte d’Auteuil, en passant par toutes les sous-cultures esthétiques possibles et imaginables. Si vous passez une semaine à New York sans croiser des leather gays, des cosplayers de Peaky Blinders, des pin-ups, des gens qui donnent l’impression de s’être roulés dans du goudron et des plumes, des tenues sorties d’un clip de Nicki Minaj ou des cowboys de rodéo, c’est que vous n’avez pas bien regardé. Plus important encore, vous devez garder à l’esprit que quoi que vous portiez ici, vous ne serez jamais la personne la plus extravagante, la plus sophistiquée, ou la plus étrange du quartier, ni même du bloc. C’est comme ça.
Dans une ville de huit millions d’habitants, renommée pour son école de mode, ses galas, son glamour et son avant-garde, toutes les tendances coexistent et s’entremêlent jusqu’à ce que presque chaque personne y développe un style personnel et unique. Ceci étant, il y a quand même des tendances générales auxquelles la plupart des New-Yorkais souscrivent, et que l’on retrouve à travers diverses couches de la société et diverses esthétiques. Voici celles auxquelles j’ai fini par céder en un an ici.
Il me semble aussi important de noter que dans une démarche durable et responsable, j’ai tendance à privilégier la qualité à la quantité, ce qui implique d’éviter de succomber aux modes temporaires (et génératrices de fast fashion, donc de conditions de travail inhumaines et de quantités industrielles de déchets). En conséquence, quand j’achète un vêtement neuf (je vous parlerai de l’aspect seconde main de mon approche dans un autre billet), j’essaie toujours de garder à l’esprit que je vais le porter pendant des années (les matériaux employés et la facilité d’entretien sont mes critères principaux) ; ce qui fait que j’évite naturellement les choses dont je sais qu’elles seront complètement démodées dans six mois. C’est pour cette raison que les quatre tendances dont je vous parle ci-dessous, et auxquelles j’ai cédé, ne sont pas des tendances récentes ou temporaires : on est franchement dans l’indémodable, le permanent, ce qui est là depuis toujours (le tout-en-noir), depuis des décennies (la jupe en tulle), ou qui est tellement pratique que ça ne disparaîtra pas de si tôt (le tote bag et l’athleisure). Ma méthode n’est pas infaillible, et elle ne constitue pas une panacée universelle à la surconsommation, mais elle permet de mettre un peu d’ordre dans le chaos (fin de la remarque, retour au contenu qui nous intéresse).
Le tout-en-noir
Le tout-en-noir, c’est vraiment la base (que dis-je ? l’épine dorsale !) de la tenue new-yorkaise. Je sais qu’on porte du noir partout à travers le monde et que ce n’est pas vraiment une nouveauté que de dire que le noir, c’est chic ; mais tout de même, l’uniforme new-yorkais, celui qui crie « je vis ici », c’est bien le tout-en-noir.
Dans une interview accordée au New York Times en 2018, Valerie Steele, la directrice du Musée du Fashion Institute of Technology (FIT) remarque que les New-Yorkais portent plus de noir que les Parisiens ou même les Milanais (ce qui m’a surprise, personnellement) ; surtout, continue-t-elle, ce sont les New-Yorkais dont on voit clairement qu’ils sont new-yorkais qui adoptent le look tout-en-noir : ceux qui travaillent dans la mode, les artistes, et les hipsters— en un mot, les trendsetters. Ce phénomène, c’est en tout cas l’hypothèse de Steele, tirerait son origine des décennies 1970 et 1980, époques auxquelles plusieurs courants esthétiques (les punks, les riches, les fashionistas, etc.) ont convergé vers le noir. Elle conclut sur une note que je trouve très intéressante : New York est une ville de ciment et d’acier, où la tenue tout-en-noir fonctionne en adéquation avec son environnement ; ça ne marcherait pas à Los Angeles.
J’ai jusqu’ici parlé du tout-en-noir (head-to-toe black), et ça veut bien dire ce que ça veut dire : là où dans d’autres villes une tenue noire est rehaussée d’un accessoire de couleur, New York ne demande rien de moins qu’une approche monochromatique. Pas question d’un foulard rouge ou d’un sac à main jaune. Noir, c’est noir. Seule exception possible : un chapeau ou un bonnet d’une autre couleur, mais toujours dans des tons sobres, voire sombres.
En ce qui me concerne, j’aime beaucoup cette esthétique. Elle est facile à assortir (évidemment) et fondamentalement versatile dans la mesure où une même tenue, avec une veste ou des chaussures différentes, produit un nouveau look en deux minutes. Et puis, dans une ville salissante, c’est pas plus mal pour camoufler les taches, et ça facilite le tri pré-lessive. Mais comme je reste, au plus profond de moi, une fille qui aime la couleur, je ne porte pas le tout-en-noir tous les jours, seulement quand ça me prend.
Les essentiels : une veste, des chaussures et un sac à main noirs. Ça tombe sous le sens, mais c’est important. LE fashion faux-pas ici, c’est clairement de porter des éléments dépareillés, surtout s’ils sont en cuir. Je ne dis pas que vous allez vous faire jeter du métro 4 si vous portez des chaussures brunes avec un sac noir (après tout, j’ai carrément vu un gars pisser dans un coin du wagon sans que personne n’y trouve à sourciller), mais ça craint quand même. À éviter, donc.
Pour ma part, j’ai opté pour le perfecto Levi’s en similicuir (perpétuellement soldé à $84 chez Macy’s), l’indémodable sac à main Hardwick de chez Radley London (qui fait tour à tour sac de mémère ou chic discret selon avec quoi on le porte) et, au choix, les bottes Dr Martens 1914 Vonda que je traîne depuis près de dix ans et qui survivront probablement à l’apocalypse nucléaire, ou mes vieilles Nike Air Max Motion 2 qui sont au bout de leur vie, mais pour lesquelles je ne trouve pas de remplacement (d’ailleurs, si vous avez des suggestions, je suis preneuse !). La robe en tulle (portée sur un top noir et une paire de leggings) vient de chez Anthropologie (elle n’est plus en stock, mais vous trouverez facilement quelque chose de similaire dans leur catalogue ou n’importe où ailleurs).
Le tote bag
Le tote bag n’est pas tant un accessoire de mode qu’une manifestation de l’existence de la magie dans notre quotidien, dans la mesure où il en apparaît un nouveau toutes les semaines dans le placard sans qu’on n’en achète jamais. À ce stade-ci des opérations, je pense que je pourrais tapisser mon appartement tout entier avec les tote bags que j’ai accumulés en un an, et il m’en resterait encore suffisamment pour faire mes courses tous les jours avec un sac différent. Vous pouvez essayer de les donner (on ne jette pas un tote bag), mais ils vous reviendront toujours, parfois en surnombre (comme la fois où le Liechtenstein a envoyé 80 soldats à la Guerre austro-prussienne de 1866 et ils sont rentrés au pays à 81 parce qu’ils s’étaient fait un copain en route).
Le tote bag, ce bout de canevas rectangulaire, de préférence beige (ça fait plus écolo) avec un logo d’une sorte ou d’une autre, est un impératif de la vie new-yorkaise, et un signe visuel au sens que lui donnent les sémioticiens : le tote veut toujours dire quelque chose. Il informe les passants de votre affiliation politique, du festival auquel vous avez assisté et dont personne n’a jamais entendu parler, de votre profil de cliente Sézane, de votre librairie préférée, ou d’à quel point votre humour est pointu et donc de combien vous êtes formidable. Surtout, le tote bag est cool. Tout le monde aime le tote bag, peu importe sa classe sociale, sa religion, son origine ethnique ou son orientation sexuelle. Tout le monde est content de recevoir un tote gratuit, et presque tout le monde est même content de payer pour en avoir un.
Ce qui est ironique, forcément, quand on pense que le tote bag a pour fonction d’être un sac réutilisable destiné à remplacer les vilains sacs en plastique à usage unique et qu’on n’a finalement besoin que d’un seul tote (voire deux quand on fait les grosses courses), le tote ultime, le dernier tote, celui dont hériteront nos enfants, ou celui avec lequel on sera enterré si on quitte notre enveloppe charnelle sans avoir jamais eu de progéniture. C’est d’autant plus contre-productif sur le plan environnemental d’accumuler les totes que les experts estiment qu’en fabriquer un seul demande autant d’énergie que de produire 400 sacs en plastique, mais dans une société qui est clairement entrée dans la phase terminale du capitalisme, les corporations nous fidélisent et nous transforment en panneaux publicitaires à moindre coût en nous offrant des tote bags mignons, en fibres recyclées, qui apaisent notre conscience écologique torturée, tandis que nous courons à notre perte et que des prisonniers-esclaves se brisent le dos à ramasser du coton biologique en Louisiane. Ainsi va la vie de l’homo capitalensis.
Bref, partons du principe que votre tote bag sera utilisé au moins 130 fois (le minimum pour rentabiliser son impact environnemental d’après-production par rapport à celui d’un sac en plastique) et qu’il a été produit dans des conditions à la fois durables, sanitaires et équitables, parce qu’il faut bien être optimiste de temps en temps. Sinon, vous pouvez toujours compter sur moi pour transformer un billet léger sur la mode à New York en diatribe marxiste (on ne se refait pas). Et même si le tote bag, dans sa philosophie et dans sa pratique, est une véritable catastrophe, c’est toujours mieux de voir la vérité en face et d’être conscient de l’hypocrisie du marché et du green washing tout en y constatant un phénomène culturel dont l’existence est indéniable sous l’angle de la sémiotique sociale. Et comme je vous le disais, le tote bag est cool, donc il n’est pas près de disparaître.
Chez moi, par exemple, il y a un tote bag dans lequel on range les autres tote bags, pratique héritée du monde pré-tote où l’on rangeait les sacs en plastique dans un autre sac en plastique. Je pense qu’il y a là une constante de l’esprit humain, qui aime profondément la récursion et finira probablement par inventer le tiroir pour ranger les tiroirs. Tout ça pour dire que le tote bag est omniprésent, inévitable, porteur de sens, et — il faut bien l’admettre — passablement pratique.
Pour une culture dont les participants n’ont aucun problème à sortir de chez eux avec juste leur téléphone et leurs clés (je ne m’y ferai jamais), les New-Yorkais aiment aussi la possibilité de trimballer tout et n’importe quoi, façon chasseurs-cueilleurs primitifs. D’abord parce que les gens d’ici déposent ce dont ils n’ont plus besoin sur le trottoir, et que parfois, ce dont ils n’ont plus besoin s’avère être une lampe Tiffany ou un set de clés Allen flambant neuf ; il y aussi la possibilité du shopping impromptu, du doggy bag au restaurant (pratique entièrement répandue sur tout le spectre, du fast-food à l’étoilé Michelin), ou de trouver un caillou vraiment sympa au parc. Et puis, la bouteille d’eau réutilisable, le parapluie, le pull léger, le désinfectant et le snack protéiné doivent bien aller quelque part, et ce quelque part, pour une raison qui m’échappe, ne peut pas être le sac à main. Il y a une ségrégation arbitraire mais évidente entre les objets opérationnels qui méritent leur place dans le Valentino, et ceux qui sont relégués au tote bag, selon des critères implicites et qui relèvent sans doute de l’instinctif. D’une certaine façon, on met dans le tote bag ce qu’on ne serait pas trop triste d’oublier dans le métro, ce qui est remplaçable, ce qui continuera son existence loin de nous, avec un autre New-Yorkais. C’est peut-être là que réside la véritable durabilité du tote bag.
Remarque : Je me rends compte qu’il y a tellement à dire sur l’économie politique du tote bag, surtout depuis que j’ai appris que le tote Trader Joe’s (l’équivalent local d’Aldi) était revendu pour $500 sur eBay (soit plus de 150 fois son prix d’origine), que je ne manquerai pas d’y revenir dans un billet consacré à ce sujet.
La jupe en tulle
On le sait depuis l’an de grâce 1998, année à laquelle Carrie Bradshaw a pour la première fois illuminé nos écrans de sa virtuosité littéraire (ahem!) : la jupe en tulle, de préférence quand c’est un tutu, est une pièce inévitable de la garde-robe new-yorkaise. Mais bon, il n’est quand même pas nécessaire de passer en mode Cendrillon-va-au-Met-Gala pour intégrer la jupe en tulle dans ses tenues, et il est plutôt rare (quoique possible) de voir des femmes habillées comme SJP dans les quartiers à la pointe de l’avant-garde.
En ce qui me concerne, je fais confiance à Anthropologie, qui ne rate jamais l’occasion de sortir le modèle Chéri Ruffled dans une ou plusieurs nouvelle(s) couleur(s) à chaque saison. Je l’ai en rose poudré, ce qui n’est pas une couleur caractéristique de ma garde-robe, mais qui va bien avec le noir, le blanc et le bleu marine, et qui peut donc être accomodé à peu près à toutes les sauces. Dans un style plus Sex and the City, moins pratique, mais tellement fun, j’ai aussi profité des soldes l’année dernière pour mettre la main sur la jupe de bal Hutch en coloris rouille (parfaite pour l’opéra et le ballet) et la presque sérieuse jupe plissée en tulle bleu marine, approuvée par Kate Middleton et Anna Wintour (et qui est vraiment cool avec des bottes en hiver). Je me suis arrêtée là, parce qu’il ne faut pas non plus exagérer, mais si je m’écoutais, j’achèterais la Chéri Ruffled en vert et probablement aussi en noir (mais je vais m’abstenir jusqu’à ce qu’elle apparaisse dans les rayons d’un des magasins de seconde main que je fréquente).
L’avantage de la jupe en tulle, c’est qu’elle va à tout le monde, peu importe la taille, l’âge, ou la forme de votre corps, et comme elle est déjà en elle-même une pièce remarquable, on peut tout aussi bien l’accessoiriser pour un look extravagant, ou se contenter d’une approche épurée pour une allure chic mais originale. Un perfecto ou un blazer en tweed, des ballerines ou des escarpins, un sac à main élégant ou un panier en osier ; tout est possible avec le tulle.
Comme je suis un peu feignasse sur les bords, j’aime bien porter ma jupe rose avec un top ajusté et des baskets, ce qui m’amène, par une transition un peu facile, au point suivant.
L’athleisure
Athleisure est un mot-valise anglais, contraction d’athletic (sportif) & leisure (loisir) qu’on retrouve un peu partout dans le monde, mais qui est élevé au rang d’art à New York, où tout le monde est constamment en mouvement. Le principe de l’athleisure, c’est de porter des vêtements de sport… quand le programme de la journée contient tout sauf du sport. Je sais, je sais, vous me direz, dans les années 1990, les kékés en training Sergio Tacchini avaient déjà eu cette idée-là (big up à mon voisin Denis qui à l’époque portrait ses chaussettes Adidas au-dessus de son pantalon, un vrai visionnaire), mais l’idée ici, c’est d’en faire quelque chose de raisonnablement chic tout en maximisant le niveau de confort de sa tenue. C’est aussi, et inévitablement, un marqueur social qui dit « Je suis suffisamment riche pour être membre d’un club », particulièrement si on porte un t-shirt Equinox, acheté dans la chaîne de salles de sports du même nom (et aussi « Regardez mon Brazilian Butt Lift ! », parce que pourquoi se prendre la tête à faire du sport quand on a les meilleurs chirurgiens esthétiques du monde à sa porte, je vous le demande).
Les restaurants de moyenne à haut-de-gamme ont, pour la plupart et à quelques exceptions près, laissé tombé l’idée d’imposer un dress code strict, et il n’est pas rare de voir des gens en athleisure dans des endroits où on sert du caviar ; même à l’opéra, le public est mixte, et on se trouve parfois à faire la file pour les toilettes entre une nana en robe de gala et une autre en combo leggings/t-shirt en Gore Tex. C’est fascinant.
En ce qui me concerne, j’ai tendance à aimer m’habiller pour aller au restaurant ou au théâtre (et de préférence, dans le thème du jour), mais j’éprouve quand même une certaine joie à porter un pantalon de training et un pull à capuche pour faire mes courses sur l’île. Notez que Jon ne partage pas du tout mon avis et qu’il refuse toujours d’aller chercher le courrier avec son pantalon « d’intérieur ».
Corollaire : dans notre bâtiment, il est aussi acceptable de se pointer chez ses voisins en pyjama et pantoufles (les Américains n’ont généralement pas de pantoufles, ce qui est très bizarre de mon point de vue, donc ils portent des Crocs, des sandales, ou des UGGs en hiver), et il arrive même parfois, quand on organise une soirée dans notre bâtiment, que quelqu’un précise que la tenue privilégiée devra être le pyjama. Du coup, on a carrément des pyjamas « pour sortir » (surtout pendant la période de Noël) et des pyjamas « pour chez soi ». Personnellement, et malgré mon amour (tout modéré) de la mode, je ne peux qu’être séduite par cette idée : si je m’écoutais, je vivrais en pyjama 24h/24.
Il y a évidemment plein d’autres modes, de styles et d’esthétiques générales à New York, mais celles dont je vous parle ici sont celles dont je constate qu’elles ont fait une apparition dans ma garde-robe au fil de l’année écoulée. Rassurez-vous, je résiste encore à la tenue des rappeurs de Brooklyn et aux Crocs à paillettes. Mais qui sait, un jour peut-être ?
Et vous, que pensez-vous de ces tendances ? À adopter ? À jeter ? Dites-moi tout dans les commentaires.
Textes et images ©Carnets new-yorkais.
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